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Dépolluer les sols une molécule à la fois

François Courchesne

Le biogéochimiste François Courchesne croit qu'un jour les techniques de dépollution par les plantes seront plus répandues que les moyens traditionnels de décontamination, au point que ceux-ci sembleront complètement anachroniques. «Souvenez-vous quand tout le monde fumait des cigarettes durant les fêtes de famille. Aujourd'hui, il serait invraisemblable de le faire. Les mentalités évoluent; celles sur nos techniques de dépollution vont changer aussi», lance-t-il.

Le chercheur est spécialisé dans l'étude de la rhizosphère, un écosystème complexe de moins de un millimètre d'épaisseur situé autour de la racine d'une plante. «Nous commençons à percer les mystères de ce milieu où des interactions entre les microorganismes, les particules minérales et organiques et les racines se déroulent à une intensité inégalée dans le sol», signale-t-il. La compréhension de ce microenvironnement serait l'une des clés de voûte de la décontamination des sols.

Derrière ce principe de la plante qui dépollue, il y a un monde que les chercheurs tentent de comprendre. C'est pourquoi le professeur Courchesne s'est joint en 2011 au projet GenoRem, sous la direction du biochimiste B. Franz Lang et la codirection de Mohamed Hijri. GenoRem a obtenu un financement de 7,6 M$ de Génome Canada et de Génome Québec pour déterminer, jusque dans leurs gènes, les propriétés des usines biologiques que sont les plantes et leur environnement microbien. «Ici, nous faisons de la recherche fondamentale en restant attentifs à l'application directe de nos découvertes», indique le scientifique qui enseigne à l'Université de Montréal depuis 1988.

Si l'on regardait le sol de son jardin avec un puissant microscope, on apercevrait beaucoup de vide autour des racines des plantes. Présente dans ce vide, l'eau qui percole solubilise les éléments chimiques du sol. Les racines s'y abreuvent ensuite comme on boit avec une paille. «Les plantes font cela pour s'approvisionner en eau et en éléments nutritifs. Mais certaines essences ont aussi la capacité d'emmagasiner dans leurs tissus des quantités variables de contaminants qui sont potentiellement toxiques. Elles les pompent littéralement du sol, atome par atome, pour les stocker dans leurs racines, leurs tiges et leurs feuilles. C'est ce phénomène de phytoextraction qui nous intéresse. En documentant chaque étape de ce mécanisme, nous pourrons désigner les espèces les plus performantes dans un contexte de décontamination», explique M. Courchesne.

Avec son équipe, le chercheur a entrepris des travaux dans un site fortement contaminé à Valcartier, près de Québec. La première année, les observations ont été décevantes, car les végétaux étaient chétifs. Ils avaient l'air malades et sur le point de disparaître. La seconde année fut presque aussi médiocre. La production de bois et de feuilles (la biomasse) s'est toutefois révélée exceptionnelle à la troisième saison. «Nous avons conclu que les plantes ont eu beaucoup de mal à s'adapter au milieu hostile où on les avait transplantées. Mais, après deux ans, elles ont fourni leur plein rendement. Cela signifie qu'un site de décontamination doit être suivi à long terme.» Encore faut-il pouvoir réaliser des travaux pluriannuels, ce que permettait le financement récurrent de GenoRem.

Les cultivars de saules qu'on a isolés sont parmi les plantes les plus prometteuses aux yeux du chercheur. On les repique dans un terrain hautement pollué, peu fertile et mal drainé, et elles parviennent à produire une biomasse importante en une courte saison végétative, tout en effectuant leur travail d'extraction souterraine des contaminants. On trouve dans leurs tissus jusqu'à 20 fois la concentration de métaux traces (cadmium et zinc) mesurée dans le sol environnant. Pour Michel Labrecque, les expériences menées dans les différents endroits ouvriront la voie à de nouveaux partenariats entre les centres de recherche et les communautés rurales en plus de favoriser le développement durable. «On peut faire pousser des saules de la Gaspésie à l'Abitibi. Pourquoi ne pas utiliser cette force de la nature pour dépolluer les sites abandonnés? De plus, on recueille une biomasse qui sert à d'autres fins.»

Mathieu-Robert Sauvé

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