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Les organismes scientifiques et leurs experts sont-ils tous crédibles?

Plusieurs centaines de chercheurs de l’Université de Montréal participent au 84e Congrès de l’Acfas, qui se tient jusqu’au 13 mai à l’Université du Québec à Montréal et qui est une célébration de la recherche en français. Forum rend compte des travaux de certains de ces chercheurs, pour qui le congrès est souvent la première expérience de communication publique.


Le badaud sur le trottoir qui arbore une pancarte annonçant que «Les choses vont aller de mal en pis» n’a pas nécessairement tort… Mais est-ce raisonnable de lui accorder de l’importance? Non! Pourquoi alors prêter attention aux propos d’un expert?

«Parce que ses paroles sont conditionnées par un processus d’évaluation et qu’elles découlent de mécanismes qui contrôlent les biais ou les erreurs qui peuvent teinter ce qu’il avance», a illustré Frédéric Bouchard, professeur au Département de philosophie de l’Université de Montréal, à une conférence prononcée au 84e Congrès de l’Acfas – organisation à la tête de laquelle il a récemment été élu.

M. Bouchard, qui participait à un atelier sur le rôle de l’expert dans une société démocratique, a axé sa présentation sur l’importance de se préoccuper de la santé des organisations scientifiques.

«Selon un sondage mené aux États-Unis en 2010 au sein d’un lectorat bien disposé à l’égard de la science, le scepticisme à l’endroit des experts n’est pas en hausse, contrairement à l’opinion de plusieurs pessimistes. Mais la diversité des types de scepticisme, elle, a augmenté et c’est inquiétant, car ils nourrissent le discours public», a évoqué M. Bouchard.

Si les répondants disent faire généralement confiance aux experts lorsque ceux-ci s’expriment sur la théorie de l’évolution ou l’origine de l’Univers, il en est tout autrement quand il est question d’une pandémie de grippe ou des OGM.

«Cette différence dépend de la perception du risque associé aux propos de l’expert quant aux répercussions d’une erreur éventuelle de l’expert sur la personne qui écoute, a indiqué le professeur de philosophie. Le sceptique craint les conséquences d’une erreur sur sa santé, mais pas une erreur par rapport aux origines de l’Univers ou de la vie. Dans un cas, il y a un risque personnel perçu, dans l’autre cas non.»

À quels experts se fier?

Ce qui importe, selon M. Bouchard, c’est de chercher à déterminer à quel expert ou organisme il est raisonnable d’accorder son attention. Et, pour ce faire, deux approches philosophiques peuvent être envisagées.

«Il y a l’approche de la relation de confiance expert-profane de John Hardwig, qui demande une formation morale au scientifique ainsi qu’une diversité de la communauté d’experts pour établir un lien de confiance – en particulier avec des groupes historiquement lésés», a souligné le titulaire de la Chaire Ésope de philosophie de l’UdeM.

Mais elle pose un problème lorsqu’il y a désaccord entre deux experts, et elle entraîne ce qu’on appelle le «biais de confirmation», soit une tendance à écouter davantage ou à croire la personne qui nous conforte dans ce que nous pensons déjà.

Il y a aussi l’approche épistémique de l’expertise d’Alvin Goldman, qui s’intéresse à la façon dont sont produits les experts sur le plan sociologique. «Pour désigner un expert selon cette approche, il faut que l’information qu’il avance corresponde au consensus scientifique et qu’il possède les diplômes appropriés ou un autre type de reconnaissance de l’expertise par une communauté de pairs, a poursuivi M. Bouchard. Ici encore, l’approche renforce le biais de confirmation et, de plus, bien qu’il y ait consensus autour d’une question, les experts peuvent néanmoins tous se tromper!»

La révision par les pairs ou le scepticisme organisé

M. Bouchard a plutôt défendu une approche inspirée du sociologue Robert K. Merton. Pour que la science soit digne d’attention et de confiance, elle doit reposer sur certains principes fondamentaux, dont le communalisme, l’universalisme, le désintéressement, l’originalité et le scepticisme organisé. Or, tous ces principes fonctionnent grâce aux organisations et non en fonction des vertus des individus.

«Le scepticisme organisé, qui prend la forme de la révision par les pairs, constitue le meilleur moyen d’évaluer ce que vaut un expert, car l’organisme qui la sous-tend aide à produire des experts dignes d’écoute», a soutenu M. Bouchard.

Il a expliqué que l’autorité de l’expertise «découle en quelque sorte du scepticisme des organisations face aux valeurs et aux motivations des individus, en instaurant des mécanismes de surveillance : aucune évaluation par les pairs n’est parfaite et elle ne garantit pas la vérité, mais la complémentarité d’expertise et de contrôle du biais de confirmation fait que les résultats méritent d’être écoutés».

Selon lui, l’utopie consiste à chercher des experts qui auraient raison hors de tout doute. «Il faut plutôt se concentrer sur la recherche d’experts dignes d’attention, même s’ils sont faillibles, a-t-il avancé. Nous aurons des experts dignes d’attention si nous maintenons des organisations rigoureuses.»

«Il faut s’intéresser aux organismes scientifiques parce qu’ils sont garants de la création, du maintien et de la légitimité des experts qu’on souhaite voir intervenir dans la prise de décision», a conclu Frédéric Bouchard en rappelant à la blague que la confiance à l’endroit des experts est un phénomène récent dans l’histoire : «Au Moyen Âge, on les brûlait!»

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