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Veut-on vraiment savoir «Comment ça va?»

«Bonjour, comment ça va?» Cette question lancée à une connaissance qu'on croise dans la rue ne signifie pas qu'on veuille engager une longue conversation. En fait, souvent notre interlocuteur l'aura compris et répondra simplement : «Ça va et toi?» Faire autrement est presque inconvenant!

«Il s'agit d'une forme de politesse qui fait partie des rituels d'interaction que nous mettons en scène dans la vie de tous les jours. Inconsciemment ou non, nous reproduisons des gestes qui sont là pour marquer notre sociabilité et le respect de l'autre», explique François Cooren, professeur au Département de communication de l'Université de Montréal.

Ce spécialiste des interactions sociales, qui enseigne depuis près de 15 ans les concepts du sociologue canadien Erving Goffman, a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet en milieu organisationnel. «Goffman a eu une influence considérable sur la sociologie et les sciences sociales en général, dit-il. Pour lui, la vie sociale est une sorte de théâtre où les individus sont des acteurs qui jouent des rôles différents selon qu'ils sont au travail, dans une soirée mondaine ou dans l'intimité de leur maison.»

Nous avons donc tous plusieurs identités. Au travail, nous ne parlons pas de la même chose ni sur le même ton qu'avec notre conjoint. Entre amis, nous ne nous présentons pas de la même façon qu'au club d'astronomes amateurs! Nous affichons une sorte de portrait «à la carte». «Le but est de faire bonne figure et de permettre à chacun de ne pas perdre la face. Car notre soi est quelque chose qu'il faut préserver tout comme le soi des autres», indique M. Cooren.

Derrière les formules de politesse, il n'y a pas de moi profond authentique, selon Erving Goffman. Seulement une compétence sociale qui permet de construire son identité et de partager les attentes d'autrui. «Chacun sait en général se comporter en fonction des exigences de la situation, note François Cooren. On apprend aux enfants dès leur plus jeune âge à dire merci et à s'excuser.» Adulte, on comprend ainsi qu'une situation appelle une certaine réaction. Par exemple, si l'on marche sur le pied de quelqu'un, on dira automatiquement «Pardon».

Cela est tellement naturel qu'on n'y prête même plus attention. Sauf s'il y a accroc ou erreur dans le comportement. Car les embarras et manquements sont inhérents à ce que M. Goffman nomme «l'ordre de l'interaction».

À l'ère du Web, où les interactions face à face ne sont pas nécessaires pour communiquer, une nouvelle forme de politesse s'impose. «Étant donné qu'on n'a pas le regard et l'intonation de la personne pour nous informer, on utilise des signes linguistiques et des icônes, comme le bonhomme sourire, pour préciser à notre interlocuteur que notre propos est une blague», signale le professeur Cooren. Mais même dans le monde de Twitter et d'Instagram il y a un ordre interactionnel. La règle? «On ne peut pas tout dire! rappelle M. Cooren. D'où l'importance d'enseigner à nos étudiants les concepts de Goffman de manière qu'ils apprennent à mieux communiquer selon les circonstances, à penser à ce qu'ils veulent dire et aussi à écouter et à composer avec l'autre.»

Cet étrange apprentissage des codes sociaux ne serait pas propre aux êtres humains. Fréquente chez les jeunes singes, la «mimique du jeu» consiste à écarter exagérément les lèvres et à repousser les commissures en s'approchant d'un individu. Elle signifie grossièrement «Veux-tu jouer avec moi?» ou encore «Je viens en ami». Toutes les espèces de primates recourent à la mimique.

Shakespeare avait raison d'écrire : «La vie est un théâtre.»

Dominique Nancy

(Illustration : Benoît Gougeon)

 

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