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2024-12-18

Approches pédagogiques de l’IA (2)

Partout sur la planète, l’innovation fulgurante en IA transforme l’enseignement supérieur. Comment pouvons-nous, en tant que communauté universitaire, tirer profit de cette technologie tout en négociant les défis éthiques et pédagogiques qu’elle pose ? Voilà la question directrice qui guidera mon mandat.

Dans mon dernier billet, j’abordais des approches pédagogiques répandues pour soutenir l’apprentissage, comme la rétroaction et le tutorat assistés par des systèmes d’IA (SIA). La recherche récente appuie ces pratiques, notamment parce qu’elles sont alignées avec les besoins et effets pédagogiques positifs documentés de longue date par les sciences de l’éducation. Il n’est donc pas surprenant de constater que ces approches puissent réellement bonifier l’apprentissage à l’université.

Pour clore cette année 2024, j’aimerais vous faire découvrir d’autres perspectives pédagogiques plus innovantes. Elles pourraient vous donner des pistes et faire l’objet de projets départementaux novateurs.

Collaborer avec l’IA

Si la rétroaction et le tutorat assisté par l’IA ont commencé à faire leurs preuves pour l’apprentissage en vue des évaluations, la collaboration avec l’IA dans des productions intellectuelles demeure un domaine d’exploration. Car la communauté universitaire est divisée sur la question de la place de l’IA dans la recherche et la production intellectuelle. J’abordais récemment cet enjeu avec la communauté enseignante dans mon premier atelier portant sur l’intégrité intellectuelle dans l’utilisation de l’IA.

Je le rappelle ici : les normes universitaires actuelles encouragent l’utilisation d’outils logiciels et d’algorithmes, notamment pour assister l’humain dans la recherche, le calcul, l’analyse, l’édition de textes ou la création artistique. Mais la norme de l’auctorialité (humaine) ne permet pas de considérer l’IA comme co-autrice dans les publications académiques : ces systèmes ne peuvent ni assumer la responsabilité morale et légale des productions intellectuelles ni respecter les exigences d’originalité et de recherche humaine. De telles normes ont été réaffirmées en enseignement supérieur, au Québec, par le Conseil supérieur de l’éducation et la Commission de l’éthique en science et en technologie [1].

On devrait pourtant reconnaître que l’IA devient vite indispensable à la recherche fondamentale et appliquée. En particulier là où les cerveaux humains, même assistés d’outils logiciels puissants, sont dépassés par la masse d’informations cumulées et produites (notamment en médecine, en physique et en économie), ou pour traiter la complexité des réalités étudiées (p. ex. en physique théorique, en microbiologie et en neurosciences) [2]. Il en va de même de la formation professionnelle, qui se tourne de plus en plus vers la collaboration avec l’IA [3].

Les départements universitaires devront enseigner des compétences de collaboration scientifique et professionnelle avec l’IA, du moins dans les domaines où cette collaboration se révèle féconde, voire nécessaire à l’avancement de la recherche et des connaissances. Mais l’enseignement universitaire doit aussi enseigner l’intégrité, notamment la transparence lorsque l’IA est impliquée dans le contenu d’une production intellectuelle.

Dans ce qui suit, j’esquisse certaines approches que j’aurai l’occasion de présenter et de discuter dans mes billets, ateliers ainsi qu’au sein de la communauté de pratique. Elles ont l’avantage de viser l’acquisition de compétences complémentaires, notamment en favorisant l’apprentissage actif, mais aussi de contourner l’enjeu de l’auctorialité que je viens de mentionner.

Simulations pédagogiques

Les simulations et autres jeux sérieux sont utilisés depuis longtemps pour enrichir la formation professionnelle des universitaires par un apprentissage plus actif [4]. Toutefois, l’organisation de ces jeux pédagogiques demande beaucoup de temps et de ressources humaines. D’où l’intérêt d’utiliser l’IA pour faciliter leur mise en œuvre.

Nous savons par exemple que l’IA peut améliorer grandement l’offre de simulations cliniques de qualité pour les formations professionnelles en santé. Une étude pédagogique pionnière, publiée en 2023, impliquait déjà l’IA dans l’interaction d’apprentissage avec les personnes étudiantes. Il s’agit ici de développer leurs capacités de raisonnement clinique dans un contexte plus actif et immersif que la classe traditionnelle [5]. Il existe plusieurs autres projets et études semblables dans le vaste domaine de la santé (médecine, psychologie et sexologie cliniques, etc.); ils sont trop nombreux à identifier et à résumer ici.

En gros, ces collaborations avec l’IA ont en commun de favoriser l’engagement étudiant ainsi que l’acquisition précoce d’une pré-expérience professionnelle dès les débuts de la formation universitaire, facilitant ainsi la transition ultérieure vers l’expérience des stages avec de vrais humains. Hormis les stages cliniques, voici deux exemples de concepts de jeux sérieux permettant de mettre en application les apprentissages avec vos groupes :

· En psychoéducation, on peut créer un scénario permettant de générer des dialogues interactifs mettant en scène des comportements typiques de jeunes en situation de difficulté ou de crise. La simulation interactive avec l’IA permet ainsi de mettre en application les notions d’intervention sociale.

· En travail social, on peut créer un scénario similaire pour mettre en scène des entretiens fictifs avec des bénéficiaires aux profils variés, comme des situations de pauvreté, de violence familiale, de dépendances, etc. Les personnes étudiantes peuvent ainsi mener des entretiens virtuels et recevoir des retours sur leur capacité d’écoute et leur compréhension des besoins.

On gagnerait à mettre à profit ces approches innovantes dans toutes les formations universitaires tournées vers l’acquisition de compétences professionnelles robustes, tant techniques que psychosociales. L’idée générale derrière le design de simulations assistées par l’IA est qu’elles permettent d’appliquer et de concrétiser les apprentissages autour de la résolution de problèmes réalistes, puis de former à la prise de décision, cela en vue de mieux préparer les cohortes étudiantes aux réalités professionnelles. De plus, l’IA permet de jouer des rôles assez crédibles, tout en représentant un risque nul pour le public.

Avec un investissement de temps et de ressources, l’IA permet aussi de créer plus facilement des simulations adaptatives dans lesquelles les rôles joués par l’IA s’ajustent automatiquement aux forces et faiblesses de chaque personne étudiante. On peut ainsi développer, en continu, les compétences de résolution de problèmes techniques, mais aussi d’enseignement, de communication et d’argumentation. Par exemple, les écoles d’affaires et de gestion, de communication publique et de politique commencent à déployer l’IA dans des jeux de négociation et de communication [6].

On peut aussi créer des environnements collaboratifs de compétition dans lesquels l’IA joue des rôles pour simuler la collaboration transdisciplinaire, p. ex. la personne inscrite à un programme de génie logiciel peut apprendre à collaborer avec des équipes de développeurs UX/UI, des gestionnaires, ainsi que le département de marketing d’une entreprise fictive [7]. Deux exemples d’environnements collaboratifs avec l’IA qui pourraient être créés à la FAS :

  • En relations industrielles, il serait ainsi possible de modéliser un environnement collaboratif où les étudiants prennent part à des négociations fictives impliquant divers acteurs (syndicats, employeurs, médiateurs gouvernementaux). Les personnes étudiantes pourraient pratiquer la négociation en préparant leurs stratégies, analyser les concessions possibles et réagir aux positions fluctuantes des autres parties prenantes.
  • En économie, les personnes étudiantes pourraient jouer des acteurs économiques devant prendre des décisions (banques, multinationales, États et d’autres organisations). L’IA pourrait alors simuler la réaction d’économies fictives, des marchés financiers dynamiques ou créer des crises économiques en réagissant aux décisions du groupe. Cela permet de concrétiser les notions associées aux théories et phénomènes économiques complexes (inflation, sanctions économiques, balance commerciale, etc.).

Si cela intéressait des départements, il serait possible d’adapter les cadres expérimentaux existants pour réaliser de tels projets.

Vers la co-création avec l’IA ?

Je termine en revenant à la question de la place de l’IA dans la co-création de productions intellectuelles en contexte d’évaluation. Dans mon deuxième atelier portant sur les outils et applications pédagogiques de l’IA, j’ai présenté un cadre d’évaluations dans lesquelles les personnes étudiantes doivent utiliser l’IA pour réaliser un projet complexe. Dans ma propre démarche pédagogique, axée sur le développement de la co-intelligence (humaine-IA), mes groupes ont démontré un grand intérêt à relever le défi de co-créer des projets de session ambitieux, en explorant comment l’IA pouvait les aider à sa réalisation.

C’est sur la base de ma propre expérience positive que je recommandais à la communauté enseignante de cibler un ensemble de compétences disciplinaires, mais aussi à haute valeur professionnelle, telles que la gestion de projet, la pensée stratégique et critique, la pensée divergente, la créativité et l’innovation. Le design de ces évaluations demande de rehausser les standards usuels, de manière à ce que l’IA devienne nécessaire pour réaliser le projet de manière collaborative. Autrement dit : ni l’IA ni la personne étudiante ne peut réaliser le projet en solo. Elles doivent absolument combiner leurs capacités pour le réaliser de manière satisfaisante. Cela permet à la personne enseignante d’évaluer non seulement la production finale, mais aussi, la démarche collaborative avec l’IA, ainsi que la rétroaction expérientielle de la personne étudiante sur cette collaboration.

Dans la perspective esquissée ici, je pense que l’avenir des professions, de la recherche universitaire et des autres productions intellectuelles impliquera un savoir-faire collaboratif avec l’IA. Le nouveau défi de l’enseignement supérieur, à l’ère de l’IA agentique, devient celui-ci : nous ne savons pas encore comment transmettre ce savoir-faire. Pour le découvrir, il faudra oser explorer avec les communautés étudiantes, afin de co-construire, ensemble, de nouvelles approches de recherche, de création et de travail collaboratif avec l’IA.

Si les pistes esquissées ici vous inspirent, n’hésitez pas à me le faire savoir. Cela pourrait faire l’objet d’un atelier la session prochaine.

Sur ce, je vous souhaite un très joyeux temps des Fêtes!

 

Note: Les propos de Dave Anctil vous sont offerts à titre personnel, pour susciter la réflexion. Certains outils mentionnés ne font pas l'objet d'un soutien par les TI de l'Université de Montréal.

 


Références

[1] Conseil supérieur de l’éducation et Commission de l’éthique en science et en technologie (2024). Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur : enjeux pédagogiques et éthiques, Québec, Le Conseil; La Commission.

[2] Trois exemples récents : Si, C., Yang, D., & Hashimoto, T. (2024). « Can llms generate novel research ideas? a large-scale human study with 100+ nlp researchers »; Luo, X., Rechardt, A., Sun, G. et al (2024). « Large language models surpass human experts in predicting neuroscience results », Nature Human Behaviour, 27 novembre; Agrawal, J., McHale, J., & Oettl, A. (2024). « Artificial intelligence and scientific discovery: a model of prioritized search », Research Policy, Vol. 53, No. 5.

[3] Ce qu’analyse, notamment, la dernière étude internationale de l’OCDE : OECD (2024). Do Adults Have the Skills They Need to Thrive in a Changing World?: Survey of Adult Skills 2023, OECD Skills Studies, OECD Publishing, Paris. Comme le soulignent les auteur.es de l’étude (p. 30) : « How will AI and human labour complement each other in the future? And how fast will new AI technologies be adopted in the economy? The answers to these questions will determine skill demand over the next 10 years, and the possibilities are still wide open. The future depends not only on the current capabilities of AI but also on the direction in which they are developed: replicating the performance of “average” humans in the production of existing goods and services; enhancing the productivity of most and acting as an alternative to scarce talent in the performance of essential tasks; or creating entirely new products and services, where humans and machines complement each other in new ways. »

[4] Chernikova, O. et al. (2020). Simulation-Based Learning in Higher Education: A Meta-Analysis, Review of Educational Research, 90(4), 499-541.

[5] Koivisto, J.-M. et al., « Learning Clinical Reasoning Through Gaming in Nursing Education: Future Scenarios of Game Metrics and Artificial Intelligence », dans Niemi, H., Pea R. D., & Lu, Y. (2023). AI in Learning: Designing the Future, Springer Open Access, 159-170.

[6] Mollick, E. R., et al. (2024). « AI Agents and Education: Simulated Practice at Scale », 17 juin, The Wharton School Research Paper.

[7] Certaines équipes de recherche ont commencé à développer des cadres d’apprentissage de ce genre. Par ex : Sajja, R. et al. (2024). « Artificial Intelligence-Enabled Intelligent Assistant for Personalized and Adaptive Learning in Higher Education », Information 2024, 15, 596. D’autres études seront nécessaires pour mesurer les effets sur l’apprentissage.