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Décès du père Benoît Lacroix : une perte immense pour l'UdeM et pour la société québécoise

Le père Benoît Lacroix dans la bibliothèque du Couvent Saint-Albert-le-Grand, maison-mère des Dominicains, Chemin de la Côte Sainte-Catherine, Montréal, le 13 août 2014. Photo : Minoumi, WikiCommons.

C’est avec tristesse que la communauté de l’Université de Montréal a appris ce matin le décès du père Benoît Lacroix, professeur émérite de l’Université de Montréal, docteur en sciences médiévales, historien, théologien, officier de l’Ordre du Canada et grand officier de l’Ordre national du Québec, fondateur du Centre d’études des religions populaires et membre de l’ordre des Dominicains.

«Le père Benoît Lacroix fait partie de ces pionniers qui ont contribué à bâtir l'Université de Montréal, a souligné le recteur de l'UdeM, Guy Breton. Il est demeuré, même bien après sa retraite, un intellectuel engagé dans la société pour partager sa sagesse et son savoir. C'est pourquoi je tiens, au nom de toute la communauté de l'Université de Montréal, à lui rendre hommage et à transmettre nos sincères condoléances à ses proches et à sa famille.»

Le parcours d'un pionnier

À la fin de son cours classique au collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1936), Benoît Lacroix entre chez les Dominicains et poursuit des études de philosophie et de théologie à leur collège d'Ottawa (1937-1943), puis obtient une licence (1944) et un doctorat en sciences médiévales (1951) au Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto. Après un séjour à l'École des hautes études et à l'École nationale des chartes de Paris (1952-1953), on le retrouve à l'Institut d'études médiévales, alors rattaché à la Faculté de philosophie de l'Université de Montréal, où il enseigne de 1945 à 1985, tout en y assumant des responsabilités administratives à titre de directeur de l'Institut (1963-1969). Il entreprend l'édition critique des œuvres d'Hector de Saint-Denys Garneau à son retour de Paris et mettra plus tard de l'avant, en compagnie de collègues, l'édition critique de l'œuvre de Lionel Groulx. Après avoir enseigné au Japon, à l'Université de Kyoto (1961), et au Rwanda (1965-1966), il occupe la Chaire de civilisation québécoise à l'Université de Caen, en France (1973-1976). Entretemps, il avait créé le Centre d'études des religions populaires (1967) et sera invité à travailler à l'Institut québécois de recherche sur la culture, dont il est membre fondateur (1979). Historien, philosophe, théologien, essayiste, conteur, poète, auteur d'une cinquantaine d'ouvrages et d'articles en nombre incalculable, il est recherché à titre d'observateur de l'Église et de la société québécoise par la presse écrite, la radio et la télévision. Les marques de reconnaissance arrivent de toutes parts : mentionnons l'entrée à la Société royale du Canada (1971), le prix Léon-Gérin (1981), un doctorat honorifique en théologie de l'Université de Sherbrooke (1990), les insignes d'officier de l'Ordre du Canada (1985), de chevalier et de grand officier de l'Ordre national du Québec (1991 et 1996).

Homme de recherche, homme d'Église et homme de cœur, Benoît Lacroix continue de rayonner et d'influencer son milieu. Il n'a jamais arrêté d'écrire et de publier. Son dernier ouvrage paru l'année de son 100e anniversaire,Rumeurs à l'aube, est un dialogue avec les poètes et les penseurs de l'espérance Jean d'Ormesson et François Chen. Cet écrit poétique met un point final à son œuvre gigantesque.

Deux de ses collègues historiens, les professeurs Serge Lusignan, de l'Université de Montréal, et Guy Laperrière, de l'Université de Sherbrooke, ont tenu à lui rendre hommage. Suivent ci-dessous leurs textes respectifs en hommage à l'intellectuel et à l'homme remarquable qu'était le père Benoît Lacroix.

Benoît Lacroix, un intellectuel et un scientifique d'envergure

On oublie trop facilement que Benoît Lacroix a déployé tout au long de sa carrière universitaire une activité scientifique de toute première importance. Cette facette de sa vie est illustrée par plusieurs ouvrages parmi les 45 qu'il a écrits et que conserve notre bibliothèque universitaire. Il faut dire qu'il avait eu le souci d'acquérir dans sa jeunesse une excellente formation couronnée par un doctorat obtenu en 1951 du Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto.

Son champ de prédilection fut l'écriture de l'histoire au Moyen Âge. Il était un grand spécialiste des historiens qui tout au long de la période médiévale ont voulu livrer leurs témoignages sur leur époque. Benoît Lacroix a écrit sur le sujet deux livres remarquables et très souvent cités : Orose et ses idées (1965) et L'historien au Moyen Âge (1971). Marqué par son expérience de la vie paysanne et par ses collaborations et son amitié avec l'ethnographe Luc Lacourcière (Université Laval), il fut un précurseur des études sur l'oralité dans la civilisation médiévale et sur l'écho qu'en donnent les historiens de l'époque.

Ce fut également une passion constante chez lui de tisser des liens entre son savoir érudit de médiéviste et son enracinement profond dans la culture québécoise. Ainsi a-t-il voulu appliquer les méthodes de l'édition critique élaborées pour les manuscrits médiévaux aux œuvres manuscrites de grands phares de la culture québécoise. Avec l'aide de collaborateurs, nous lui devons l'édition du Journal de jeunesse de Lionel Groulx (1984), desŒuvres de Saint-Denys Garneau (1971) et des Inédits du même auteur (1996). Par ailleurs, l'expérience religieuse de son enfance dans son village de Saint-Michel-de Bellechasse en fit l'un des grands précurseurs des études sur la religion populaire avec Religion populaire au Québec : typologie des sources, bibliographie sélective (1900-1980). S'il n'a pas écrit lui-même sur la religion populaire au Moyen Âge, il inspira largement les travaux de notre regretté collègue Pietro Boglioni sur la question.

À l'occasion de son décès, l'Université de Montréal se doit de rappeler que Benoît Lacroix fut l'un des grands chercheurs de sa génération. C'est à juste titre qu'il fut nommé professeur émérite en 1981 et reçut la même année le prix Léon-Gérin du Québec.

Serge Lusignan, professeur émérite du Département d'histoire de l'Université de Montréal et ancien collègue de Benoît Lacroix

Benoît Lacroix, un phare sur notre route

Benoît Lacroix nous quitte, à l'âge vénérable de 100 ans. Normalement, la peine devrait nous envahir, mais devant son optimisme constant, sa joie de vivre, son amour inconditionnel d'autrui, son ouverture à l'autre (et à l'Autre), le sentiment qui me gagne est plutôt celui de la joie sereine et de la reconnaissance devant une vie si remplie, si donnée, si vivante, jusqu'au bout.

Il a été professeur à l'Université de Montréal de 1945 à 1985 et y est resté très attaché, notamment à son institut d'études médiévales, dont il a beaucoup regretté la disparition. Il en a d'ailleurs été le directeur de 1963 à 1969. Sa simplicité et son entregent gagnaient tous les cœurs. Il était proche de ses collègues, des étudiants, du personnel de soutien. Et, surtout, il pratiquait l'ouverture : l'ouverture sur les périodes chronologiques (de l'Antiquité à la Renaissance), sur les disciplines (de la philosophie à l'histoire, de la littérature à l'histoire de l'art), sur les personnes, de tous genres, c'est le cas de le dire.

C'est un homme qui aimait sourire. Jamais on ne s'ennuyait avec lui. Sa retraite de l'université n'a pas fait cesser ces contacts : au contraire, elle les a en quelque sorte multipliés. On le retrouvait avec plaisir à la télévision, à la radio, dans des conférences. Ses éditoriaux de Noël et de Pâques dans Le Devoir, un journal qu'il affectionnait, étaient un ravissement. Ce n'est pas lui qui se serait lamenté sur le temps passé : il était en quelque sorte plus au fait de l'actualité que la plupart d'entre nous et on lui confiait volontiers les tâches les plus difficiles. Le nombre de visiteurs qu'il recevait ne tarissait pas et chacun repartait avec un encouragement : sa joie de vivre était contagieuse.

Il est resté un homme de foi, il est resté un homme d'étude. Fils de paysan, attaché à la nature, à son Bellechasse natal, il lisait et écrivait tous les jours. Son dernier ouvrage, Rumeurs à l'aube, a été publié en octobre 2015, alors qu'il était devenu centenaire. Sa vivacité d'esprit n'a pas diminué d'un iota, on y découvre mille perles. Je ne cite que celle-ci, où il loue l'«heureuse ouverture d'esprit qui nous permet de vivre en communion avec l'univers spirituel de notre temps» (p. 111).

Il restera pour nous un phare sur la route.

Guy Laperrière, professeur d'histoire (retraité) de l'Université de Sherbrooke, ancien étudiant, collègue et ami de Benoît Lacroix.

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