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Le jeu pathologique a été désigné comme une maladie dès 1561

Jusqu'à maintenant, on attribuait à Benjamin Rush, le grand pionnier de la psychiatrie américaine, le mérite d'avoir été le premier à affirmer, en 1784, que l'alcoolisme est une maladie ou trouble mental.

Mais l'idée que les dépendances sont des troubles psychologiques remonte plutôt au milieu de la Renaissance, « au moment où l'être humain devient porteur de valeur ».

C'est ce qu'ont découvert Louise Nadeau, professeure au Département de psychologie de l'Université de Montréal, et Marc Valleur, médecin-chef à l'Hôpital Marmottan, à Paris, en faisant traduire du latin un traité sur le jeu pathologique publié en 1561. Ils cosignent une présentation de cet ouvrage dans sa traduction française dans un livre intitulé Pascasius ou comment comprendre les addictions1.

En avril 2009, Marc Valleur assiste à une conférence à la Bibliothèque nationale de France, où il apprend l'existence d'un traité de médecine sur le jeu pathologique datant de la Renaissance, rédigé par un médecin d'origine belge nommé Juste Pâquier (Pascasius Justus en latin). Il communique avec Louise Nadeau, une collaboratrice de longue date, pour lui annoncer que le scientifique vient peut-être de détrôner Benjamin Rush! Mais comment savoir? L'ouvrage n'a jamais été traduit...

Un nouvel acte de naissance des dépendances

Après avoir retrouvé le traité à Dresde, en Allemagne, ils se mettent en rapport avec un latiniste, spécialiste du 16e siècle. Jean-François Cottier, alors professeur et directeur du Centre d'études médiévales de l'Université de Montréal et aujourd'hui à la Sorbonne, accepte de traduire l'ouvrage. Or, à la grande surprise des trois chercheurs, la traduction révèle que le texte de Pascasius Justus est un nouvel acte de naissance des dépendances et de leur traitement. « C'était au-delà de nos espérances! » lance Mme Nadeau.

Ainsi, Pascasius associe la dépendance au jeu à une maladie plutôt qu'à un trouble strictement d'ordre moral, contrairement à Benjamin Rush, qui posait le problème de la dépendance (à l'alcool) comme une réduction matérialiste, « un primat du corps sur l'âme », un rôle clé de la molécule alcool dans le processus de l'accoutumance. De plus, le médecin belge est en rupture avec Aristote, pour qui le désir irrépressible du jeu ne reposait que sur un vil appât du gain. « Pour Pascasius, le joueur pathologique est un prodigue qui, dans ses représentations, croit pouvoir contrôler le hasard », explique Louise Nadeau. Il établit aussi des comparaisons avec l'ivresse, suggérant les comorbidités si fréquentes dans les dépendances.

Ses descriptions de la maladie sont d'autant plus réalistes qu'il tire une bonne partie de ses observations de son vécu: Pascasius Justus est accro au jeu et sa conception de la dépendance provient du travail d'introspection qu'il préconise et qu'il a dû faire lui-même, d'après Mme Nadeau. Il affirme d'ailleurs clairement que les joueurs restent vulnérables toute leur vie.

Pascasius, le père de la psychothérapie

Non seulement Pascasius s'intéresse aux processus cognitifs des joueurs pathologiques, mais il innove tout autant dans le traitement: comme il attribue l'accoutumance à l'impulsivité – un tempérament chaud –, Louise Nadeau s'attendait à ce qu'il prescrive des moyens de «refroidissement» tels des médicaments, voire des saignées. « Or, il postule que ce refroidissement passe par la parole, le jugement et la réflexion: c'est le précurseur de l'approche cognitivo-comportementale, d'un travail sur les processus cognitifs erronés », soutient la professeure de l'UdeM.

Dès 1561, Pascasius Justus se penche sur les deux grands champs de recherche en matière de conduites compulsives, soit les travaux relatifs à l'étiologie des dépendances et ceux ayant trait à leur traitement, qui retiennent toujours l'attention des cliniciens et des chercheurs.

Aussi, la pertinence de traduire cette œuvre de la Renaissance réside-t-elle dans le fait qu'elle renferme « un potentiel de la compréhension des processus intrapsychiques mis en cause dans le phénomène du jeu pathologique, ajoute Louise Nadeau. Ses observations sont encore utiles 450 ans plus tard! »

Un message d'espoir

Homme de la Renaissance, Pascasius Justus est un humaniste bien de son temps qui croit que les personnes dépendantes peuvent changer et s'améliorer.

« Dès lors que l'on parle de maladie pour décrire une dépendance, comme Pascasius l'a fait, la compassion peut prendre le dessus sur la stigmatisation, tout comme le traitement ou la réadaptation peuvent se substituer à la punition », souligne Louise Nadeau.

Et ce message d'espoir de Pascasius est toujours actuel, puisque les personnes aux prises avec une dépendance ont besoin d'espoir pour s'engager dans un processus de changement.

Martin LaSalle

1. Sous la direction de Louise Nadeau et Marc Valleur, Pascasius ou comment comprendre les addictions suivi du Traité sur le jeu (1561), Les Presses de l'Université de Montréal, 2014, 190 p.


Jeu pathologique : une maladie peu fréquente

Au Québec, les cas de jeu pathologique sont relativement faibles par comparaison avec d'autres troubles psychologiques. Par exemple, près de 1 personne sur 20 présente des troubles de l'humeur (variantes de la dépression) et 4 sur 100 sont aux prises avec une forme ou l'autre d'anxiété. Et, comparativement aux problèmes liés à l'alcool, qui touchent 5 % de la population, ils ne sont 0,7 %, soit 7 personnes sur 1000, à avoir une dépendance probable au jeu (données de 2009).

 

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