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Les drames hantent les travailleurs humanitaires revenus au pays

De nombreux travailleurs humanitaires de retour de mission souffrent de stress post-traumatique. Julie Saint-Laurent étudie les facteurs de risque dans son doctorat en psychologie. Photo : ICRC.

Depuis le début de 2015, pas moins de 259 travailleurs humanitaires sont morts ou ont été gravement blessés durant leur mission, selon Humanitarian Outcomes. Tirs, bombardements aériens, mines antipersonnel, enlèvements et attentats divers ont été fatals pour près de la moitié d'entre eux.

Pour les survivants, les séquelles sont parfois très lourdes. Difficulté à trouver le sommeil, cauchemars récurrents, irritabilité, problèmes de concentration, toxicomanie et idées suicidaires sont parmi les symptômes du stress post-traumatique. Celui-ci apparaît le plus souvent dans les trois mois suivant l'épisode violent. La guérison peut survenir dans les six mois, mais peut aussi prendre plusieurs années.

Dans la thèse qu'elle rédige au Département de psychologie de l'Université de Montréal, Julie Saint-Laurent démontre que des facteurs de risque sont indissociables de la réalité du travailleur humanitaire. Ceux-ci peuvent être d'excellents indicateurs de la façon dont la personne se remettra de ses émotions. D'abord, le stress chronique lié aux conditions de travail a une incidence cruciale. «Un trop grand nombre d'heures de travail, des conditions de mission difficiles, un manque de ressources pour effectuer les tâches, la séparation d'avec la famille et les amis et les conflits interpersonnels augmentent ce stress chronique. Les travailleurs humanitaires qui subissent un niveau élevé de stress chronique sont plus à risque de vivre ce type de problème que ceux qui n'y sont pas soumis», explique-t-elle.

L'exposition aux évènements potentiellement traumatisants est déterminante. Par exemple, il arrive que les travailleurs humanitaires se fassent battre ou qu'ils soient blessés, qu'ils soient la cible de tirs, arrêtés par les soldats ou la police, poursuivis par un groupe ou un individu ou qu'ils doivent passer une journée ou plus sans nourriture ou sans eau. Ils peuvent être des victimes de ces incidents ou en être des témoins. La recherche de Mme Saint-Laurent a montré que la détresse ressentie au retour de la mission pouvait être aussi intense chez les témoins que chez les victimes. La violence familiale est particulièrement difficile à supporter.

Le type de personnalité compte pour beaucoup ainsi que l'étendue du réseau social. «Il ne s'agit pas d'avoir de très nombreux confidents, mais la qualité des relations du réseau est capitale», indique Mme Saint-Laurent.

Mieux prévenir et mieux sélectionner les travailleurs

En réaction à des évènements éprouvants, il arrive que des personnes se coupent de la réalité. C'est une stratégie de gestion des émotions qui peut être efficace à court terme, mais qui peut interférer avec le traitement émotionnel des faits vécus et devenir nuisible à long terme. «Dans notre échantillon, près d'un travailleur sur deux y a recouru à la suite de sa dernière mission. Cela fait ressortir la nécessité de mieux outiller les travailleurs humanitaires et de les amener à acquérir de meilleures habiletés de gestion des émotions complexes», dit Mme Saint-Laurent.

Pour sa thèse, la chercheuse a communiqué avec 120 organisations non gouvernementales (ONG) engagées dans l'aide internationale pour leur soumettre un questionnaire détaillé sur les séquelles des travailleurs humanitaires après leur retour de mission. Elle a complété sa recherche par des entrevues dirigées avec 12 sujets qui ont vécu des évènements traumatisants dans des pays en crise. «Des symptômes importants d'état de stress post-traumatique sont présents chez 15 % des répondants, ce qui apparaît très élevé par rapport à la population en général, qui manifeste de tels symptômes dans une proportion de 8 %», mentionne-t-elle. Selon ses données, la fréquence n'est pas significativement différente selon le sexe.

«La plupart des ONG qui encadrent les travailleurs humanitaires font tout ce qu'elles peuvent pour assurer leur sécurité et on comprend qu'elles doivent composer avec des risques imprévisibles. Mais, dans certains cas, elles pourraient être plus efficaces pour prévenir les effets du stress post-traumatique», estime-t-elle. Des ententes de confidentialité l'empêchent de nommer les ONG qui ont participé à sa collecte de données. Mais elle laisse entendre que les plus connues ne sont pas exemptes de lacunes. «Le stress post-traumatique est un syndrome complexe que l'on commence à mieux comprendre», note-t-elle.

Dans les conférences qu'elle donne à la demande d'organisations humanitaires, elle présente un résumé de ses conclusions. «À mon avis, les organisations pourraient être plus proactives non seulement au retour de leurs travailleurs mais également avant de les envoyer à l'étranger. Elles devraient même être plus sélectives au moment de l'embauche. Il y a des traits de personnalité qui entravent les mécanismes permettant de surmonter le stress post-traumatique. Mes résultats révèlent qu'un sous-groupe de travailleurs humanitaires ayant une tendance à ressentir des émotions négatives et qui sont plus inhibés socialement seraient plus à risque de souffrir d'un état de stress post-traumatique. Ils ne sont pas faits pour subir de telles épreuves.»

Souvenirs des Balkans

Dans ses recherches, Julie Saint-Laurent a aussi découvert le concept de «croissance post-traumatique», qu'elle compte développer. «On parle beaucoup des séquelles négatives des épreuves. Mais il existe aussi des retombées positives. Des gens affirment que le choc les a fait grandir. Les situations, bien que douloureuses, ont amené chez certains travailleurs des changements positifs, une modification de leurs priorités et une nouvelle vision de la vie.»

Julie Saint-Laurent a effectué une réorientation de carrière lorsqu'elle s'est inscrite au doctorat sous la direction de Stéphane Guay, professeur à l'École de criminologie de l'UdeM. Elle était auparavant dans l'industrie de la finance. Ce sont ses voyages dans des pays durement éprouvés par la guerre comme le Kosovo, la Bosnie et la Croatie qui l'ont amenée à s'intéresser aux réalités des travailleurs humanitaires. «J'ai vu des villages détruits par des obus où les gens tentaient de se construire un quotidien harmonieux. Pas facile d'oublier la guerre lorsque sa maison est criblée de balles et qu'on voit des cratères d'obus au milieu du village. Ça m'a beaucoup touchée.»

Elle a un immense respect pour les gens qui risquent leur vie afin de venir en aide aux populations marquées par ces drames. De nos jours, même les hôpitaux sont la cible des belligérants. «Les travailleurs que j'ai interviewés ont de la difficulté à expliquer leurs motivations et leurs craintes. Ils font ce métier par altruisme et sont parfois gênés de parler d'eux-mêmes.»

Mère de deux enfants nés durant ses études doctorales, Julie Saint-Laurent n'a pas prévu se joindre à l'une de ces organisations. Mais elle souhaite que ses travaux favorisent une meilleure connaissance de la réalité des travailleurs humanitaires.

Mathieu-Robert Sauvé

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