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Les enfants sont comme des fleurs

Les bonnes pratiques parentales peuvent compenser les faiblesses génétiques des enfants mal partis dans la vie. Le facteur génétique qui favorise la manifestation des troubles extériorisés en cas d’absence de soutien parental devient même une caractéristique positive lorsqu’ils grandissent dans une famille attentionnée.

Voilà ce qui ressort d’une étude publiée dans la revue Development and Psychopathology qui appuie la théorie selon laquelle la vulnérabilité génétique des enfants peut être transformée lorsqu’ils se trouvent dans un environnement familial favorable.

Des chercheurs du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant de l’Université de Montréal et du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine ont suivi pendant 15 ans des enfants à risque de souffrir de problèmes d’alcool à l’adolescence. Leurs résultats remettent en question le mécanisme de cause à effet qu’on croyait acquis. «Notre recherche montre que les enfants plus impulsifs peuvent consommer moins d’alcool à l’âge de 15 ans que les autres enfants lorsqu’ils sont soumis à de bonnes pratiques parentales», résume Charlie Rioux, étudiante au doctorat en psychologie et auteure principale de l’étude.

La recherche de l’étudiante a porté sur la consommation d’alcool, mais elle pourrait aussi s’appliquer à d’autres troubles extériorisés associés à la sensibilité et à l’impulsivité, comme la consommation de drogue, le déficit de l’attention et l’agressivité. Ces résultats pourront aider les parents, les enseignants et les éducateurs à mieux comprendre et à développer le potentiel des enfants sensibles qui peuvent manifester des comportements perturbateurs.

Une sensibilité différentielle à l’environnement

Y aurait-il réellement un côté positif aux traits et aux gènes des enfants vulnérables? «Oui, répond Charlie Rioux. En tout cas, c’est ce que l’analyse des données fait valoir. Cela conforte le modèle théorique de la sensibilité différentielle à l’environnement, selon lequel ces enfants pourraient aussi bénéficier d’environnements positifs.» D’après cette théorie, les gènes qui nous donnent le plus de mal en tant qu’espèce, ceux pouvant mener à des comportements autodestructeurs et antisociaux,sont aussi ceux qui sous-tendent notre adaptabilité phénoménale et le succès de notre évolution.

Ce sont des chercheurs américains et britanniques qui ont proposé ce modèle théorique qui fait référence à une métaphore suédoise sur les fleurs. Si leur milieu est favorable, les enfants sensibles qu’on appelle «enfants orchidées» sont capables de s’épanouir, alors que s’ils évoluent dans un environnement défavorable ils risquent d’être aux prises avec divers troubles, dont l’abus de substances, la délinquance et les conduites antisociales. «Tout comme la fleur qui se fane dans des conditions inadéquates mais qui s’ouvre avec des soins adéquats, ces enfants sont perméables à leur environnement. Ils peuvent donc présenter des aptitudes exceptionnelles et surpasser leurs pairs moins sensibles lorsque leur milieu s’y prête», indique Charlie Rioux. Les jeunes qu’on nomme «enfants pissenlits» sont beaucoup plus résistants. Comme la très commune plante dent-de-lion qui pousse n’importe où, ils parviennent à s’adapter même dans des conditions austères.

«Par le passé, les chercheurs se sont presque uniquement penchés sur le développement des enfants sensibles dans des environnements adverses. Le modèle de la sensibilité différentielle incite à prendre en compte également les milieux qui ne sont pas néfastes», signale l’étudiante, qui s’est intéressée à ce modèle théorique dans ses travaux de doctorat.

En utilisant des données d’une cohorte de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec, Charlie Rioux a étudié 209 jeunes nés en 1996-1997 dans les régions urbaines du Québec. Les mères ont répondu à des questions sur le degré d’impulsivité de leurs garçons et filles à l’âge de six ans ainsi que sur leurs pratiques parentales coercitives (punitions courantes, crier, agripper le bras, etc.). Neuf ans plus tard, les jeunes ont rapporté eux-mêmes leur fréquence de consommation d’alcool. Il en ressort que, en présence de pratiques maternelles coercitives, un niveau élevé d’impulsivité à six ans est associé à une consommation d’alcool plus fréquente à 15 ans. En revanche, lorsque les habiletés parentales sont adéquates (peu de pratiques coercitives) au cours de la petite enfance, les jeunes dits vulnérables ont tendance à moins consommer d’alcool à l’adolescence comparativement à leurs pairs dont le niveau d’impulsivité est plus faible.

«Il y a ici de toute évidence une plasticité à l’œuvre qui dépend de l’environnement», affirme Jean Séguin, professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et codirecteur de la thèse de Charlie Rioux.

Jean Séguin et Charlie Rioux. Photo : Amélie Philibert.

Intervenir dès l’enfance… auprès des parents!

Intriguée par le phénomène, la chercheuse a poussé plus loin son étude et a publié dans Developmental Review une revue de la littérature sur le rôle de l’environnement familial et du tempérament du jeune sur les troubles extériorisés à l’adolescence. Une quinzaine de recherches ont été réexaminées en fonction du modèle de la sensibilité différentielle.

Les résultats de cette recension révèlent que l’effet protecteur de la sensibilité varie selon l’âge des enfants. Comme dans son étude précédente, Charlie Rioux a observé que «la sensibilité dans l’enfance est liée à davantage de troubles extériorisés à l’adolescence dans les environnements adverses et à moins de problèmes de comportements dans les environnements familiaux adéquats». Cependant, à l’adolescence, la sensibilité est uniquement associée à des troubles extériorisés plus élevés dans des environnements néfastes. Il ne semble pas y avoir d’effet bénéfique dans les milieux adéquats».

À son avis, cela indique qu’il faut intervenir le plus tôt possible dans la petite enfance auprès des mères et des pères afin qu’ils acquièrent de bonnes pratiques parentales. «La qualité de l’environnement familial influe particulièrement sur le développement des jeunes et une attention particulière à leurs besoins dès leur plus jeune âge pourrait leur permettre d’actualiser leur plein potentiel», conclut Charlie Rioux.

La chercheuse poursuit ses travaux sous la codirection des professeurs Jean Séguin et Natalie Castellanos-Ryan, de l’École de psychoéducation de l’UdeM, avec la collaboration de Sophie Parent, aussi de l’École de psychoéducation. Ses travaux ont été financés par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, les Fonds de recherche du Québec ‒ Santé (FRQS), Nature et technologies (FRQNT) et Société et culture (FRQSC) et l’Institut de la statistique du Québec et ses partenaires. Charlie Rioux est boursière des IRSC, du FRQS et de l’Université de Montréal.

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