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Pornographie : ça commence dès 11 ans!

Plusieurs centaines de chercheurs de l’Université de Montréal participent au 84e Congrès de l’Acfas, qui se tient jusqu’au 13 mai à l’Université du Québec à Montréal et qui est une célébration de la recherche en français. Forum rend compte des travaux de certains de ces chercheurs, pour qui le congrès est souvent la première expérience de communication publique.


Contrairement à la croyance populaire, la consommation de pornographie des jeunes hommes ne leur donne pas d’idées sexuelles tordues et n’influence pas leurs rapports avec les femmes. «Leur imaginaire érotique est déjà formé dans leur tête et ils vont chercher dans ces images ce qui leur fait de l’effet», affirme Simon Louis Lajeunesse, professeur associé à l’École de travail social de l’Université de Montréal.

À son avis, l’idée selon laquelle les jeunes cherchent à reproduire dans leur vie réelle les actes sexuels vus sur leur écran est erronée. «Ils ne sont pas des pages blanches, vierges, sur lesquelles la pornographie écrit ce qu’elle veut, dit le chercheur. Leurs fantasmes, leur orientation sexuelle et leurs désirs sont largement construits par la société.»

Depuis une dizaine d’années, M. Lajeunesse scrute les effets de la pornographie sur les hommes pour tenter de mieux comprendre cette influence. Dans ses travaux de postdoctorat en sociologie menés à l’UdeM sous la direction de Jean-Martin Deslauriers, il s’est intéressé à la codification érotique de la pornographie et à la place qu’elle occupe dans les relations intimes chez 20 hommes hétérosexuels âgés de 18 à 24 ans. Le chercheur a présenté les faits saillants de son étude le 12 mai à l’Acfas dans une communication intitulée «Masculinité et pornographie : réflexion sur un objet social particulier».

Première surprise : l’âge moyen des consommateurs de pornographie lorsqu’ils ont vu du matériel pornographique pour la première fois est de 11 ans et 90 % de leur consommation se fait en ligne. Pour certains, la découverte de la pornographie est le fruit du hasard. «Ils effectuaient par exemple une recherche dans Google sur la reproduction des chattes. Mais, quand on écrit “chatte” sur Internet, on tombe facilement sur autre chose!» illustre M. Lajeunesse.

La grande majorité des préadolescents ont toutefois sciemment cherché de l’information sur le sujet. «Un ami ou un cousin leur a dit d’aller voir sur tel site et de chercher telle chose. Le rôle des compagnons dans le scriptage érotique et pornographique est extrêmement important», signale le professeur. Selon lui, si les garçons n’avaient pas de réseau d’amis qui leur disent quoi regarder et comment le trouver, ils auraient plus de mal à comprendre le fonctionnement de la dynamique.

Autre découverte. La pornographie n’est pas perçue automatiquement comme quelque chose d’érotique ou d’excitant par les jeunes hommes. À la question «Quel a été votre premier contact avec la pornographie?», plusieurs sujets interrogés ont confié au chercheur qu’ils ne savaient pas que la pornographie pouvait être utilisée pour se masturber. «À l’époque, ils étaient curieux de voir de quoi avait l’air une vulve ou comment on fait une fellation, raconte Simon Louis Lajeunesse. Ce sont leurs amis qui leur ont mentionné que la pornographie était censée être excitante.»

Les jeunes hommes font par ailleurs très bien la distinction entre l’univers de la pornographie et leur vie réelle. «Ce n’est pas parce qu’ils ont vu un acte sexuel dans un film pornographique qu’ils vont vouloir l’imposer à une femme», constate-t-il. Ils ont beau avoir accès à des images explicites sur Internet et consommer de la pornographie, la réalité est tout autre. «Ils m’ont tous dit que leur première expérience sexuelle avait été une catastrophe! Car ils ne savaient pas quoi faire.» Pour eux, la pornographie, ce sont juste des images. On n’y apprend rien. «C’est différent d’être face à une personne. C’est plus angoissant», ont-ils révélé.

Hypersexualisation?

Dans les années 50, les hommes se rinçaient l’œil dans les catalogues d’Eaton et d’autres grands magasins qui montraient des femmes en soutien-gorge. Un demi-siècle plus tard, la pornographie est partout, à la télé, au cinéma, dans les magazines… Avec Internet, elle prend de l’ampleur et devient accessible à tous. C’est vrai, admet le professeur. «En 2009, quand j’ai voulu rencontrer des hommes dans la vingtaine qui n’avaient jamais vu de pornographie, j’ai été incapable d’en trouver, relate-t-il. Mais cela ne veut pas dire que tous avaient consommé de la pornographie. Il y a une nuance.»

Est-ce que l’accès facile à la pornographie engendre pour autant une génération hypersexualisée? Selon le professeur Lajeunesse, on a tort de dénoncer une entrée plus précoce des dernières générations dans la vie sexuelle. «L’âge moyen de la première relation n’a pas changé au cours des 40 dernières années», souligne-t-il. C’est autour de 16 ans que les garçons perdent leur virginité.

Pour les hétérosexuels, la consommation de pornographie constitue une sorte de rituel viril qui confirme leur masculinité. «C’est le dernier lieu qui existe où ils peuvent être complices de quelque chose par rapport à leur sexualité», indique le chercheur. Mais, pour les homosexuels, la pornographie prendrait une signification très différente. Il s’agit d’un lieu de valorisation de leur identité. «Ils y apprennent qu’il est possible d’avoir des relations sexuelles entre hommes épanouissantes. Cela leur donne une sorte de cautionnement de leurs désirs, ce dont les hétérosexuels n’ont pas besoin, puisque la société valorise l’hétérosexualité.»

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