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Que reste-t-il des partys de famille et des plaisirs de la table?

Les temps changent et les partys de fin d'année suivent le mouvement. Le menu n'est plus aussi traditionnel et les invités sont moins nombreux en raison de la baisse de la natalité et du nombre de familles recomposées. Mais Noël est pour les Québécois sans doute la fête qui a le plus d'importance. «C'est sacré, affirme le psychologue Luc Brunet, professeur à la Faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal. Ça fait partie de notre culture de nous réunir à cette occasion pour discuter, rire et déguster des mets délicats dans un contexte cordial et festif.»

Tout l'aspect commercial de cette fête reflète la place qu'elle occupe, estime-t-il. Autre signe de la portée de cette tradition : plusieurs Canadiens parcourent des centaines de kilomètres pour être avec leur famille et leurs amis à Noël. «Le rythme soutenu exigé par le monde du travail fait en sorte que c'est souvent la seule occasion qu'on a de se retrouver autrement qu'autour d'un buffet dans un salon funéraire», lance le psychologue.

Pour Marie Marquis, professeure au Département de nutrition de l'UdeM et spécialiste des comportements alimentaires, il est capital de sauver le repas en famille. «Les Québécois perdent l'habitude de manger ensemble, observe-t-elle. C'est l'éclatement qui semble devenir la norme : chacun mange à son heure et dans un endroit différent, souvent devant la télévision ou la tablette électronique.» Autour de la table, ce sont les liens interpersonnels qui se nouent, explique la professeure. C'est à ce moment-là que les enfants sentent qu'on s'intéresse à eux, ils expriment leurs joies et leurs préoccupations. Si ce moment précieux disparaît ou si le téléviseur ou la tablette détournent l'attention des gens à table, ce sont des occasions uniques d'échanges, d'écoute, de transfert de savoirs et de valeurs que nous ratons.

À son avis, il est nécessaire de perpétuer le rituel du repas partagé et pas seulement dans les occasions spéciales. Mme Marquis déplore d'ailleurs la tendance qui se dessine actuellement. «On mise davantage sur l'art de la table plutôt que sur la convivialité, mentionne-t-elle. Avant, le repas de Noël était un prétexte pour se regrouper. On était tassé autour de la table et souvent la vaisselle était dépareillée, mais il y avait place aux échanges entre les générations. De nos jours, on veut une table à la Martha Stewart. Afin que le repas soit plus structuré, on isole les enfants des adultes en leur préparant une table pour eux. C'est désolant.»

Dans toutes les sociétés, le partage de la nourriture tisse les relations humaines, rappelle Marie Marquis. Les gens d'affaires le savent bien. Ils concluent généralement des marchés importants en faisant bonne chère. Le mot français compagnon a d'ailleurs la même racine latine que le nom copain et signifie «partager le pain avec quelqu'un». Rares sont les festivités qui ne s'accompagnent pas d'un festin.

Mais qui prépare tous ces plats? Est-ce encore à la femme que revient la tâche de cuisiner les ragoûts, pâtés, tartes et autres délices du temps des fêtes? Oui, semble dire Marie Marquis. Cela ne veut pas dire que les hommes ne mettront pas la main à la pâte. «Peut-être que la préparation de la dinde et du cipâte deviendra un jour une affaire d'hommes, comme c'est le cas du barbecue, signale-t-elle. Pour l'instant, ce sont les femmes qui majoritairement font la popote. Mais des après-midis de cuisine en famille se voient aussi.»

Marie Marquis, qui étudie depuis une vingtaine d'années les comportements alimentaires des Canadiens français, regrette que les gens ne cuisinent plus autant qu'avant. À cause des horaires chargés, ils achètent beaucoup de mets transformés et vont au restaurant. «L'économie de temps et la commodité apparaissent comme des motivations alimentaires suffisantes.» Un danger guette pourtant les jeunes qui n'ont jamais vu leurs parents manier les casseroles. «Ils ne sont pas enclins à cuisiner à leur tour», soutient Mme Marquis, qui s'inquiète de cette perte d'habiletés culinaires. Ce que ne nie pas Luc Brunet. «Mais, dans le temps des fêtes, on fait des efforts. On sort les livres de recettes!»

À l'égard du menu, pour profiter de la magie de Noël, certains miseront sur des plats traditionnels; d'autres seront plus audacieux ou alors privilégieront la formule du partage selon laquelle chacun dépose un plat sur la table. On est de plus en plus à l'écoute des préférences, restrictions, aversions, intolérances et allergies de tout un chacun, ce qui complique parfois les rassemblements, note la professeure Marquis. «Pour ce Noël, suggère-t-elle, misons sur cette belle occasion de rencontres et pensons aussi à garnir les tables de ces nombreuses familles dont le souci n'est pas le menu de Noël, mais l'accès quotidien à un minimum de denrées à offrir aux enfants.»

Dominique Nancy

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