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Un chercheur creuse aux racines de la décontamination

Autour de la racine d'une plante se déploie un écosystème complexe de moins de un millimètre d'épaisseur, riche en microorganismes et où des réactions chimiques intenses se produisent de façon constante : la rhizosphère.

C'est à ce phénomène que se consacre depuis 25 ans le biogéochimiste François Courchesne et son équipe du Département de géographie de l'Université de Montréal. « Nous commençons tout juste à percer les mystères de ce milieu où des interactions entre les microorganismes, les particules terrestres et les racines se déroulent à une intensité inégalée dans le sol », explique le chercheur passionné qui combine ses travaux avec son engagement dans l'administration universitaire à titre de vice-doyen à la Faculté des arts et des sciences depuis quatre ans.

La rhizosphère serait l'une des clés de voûte de la décontamination des sols, un projet, appelé Genorem, sur lequel M. Courchesne travaille avec des collègues de l'UdeM et de l'Université McGill sous la direction du biochimiste Franz B. Lang. « Ici, nous faisons de la recherche fondamentale en gardant un œil attentif sur l'application directe de nos découvertes à la décontamination des sols », indique le scientifique originaire de Montréal qui a déposé une thèse sur les effets des pluies acides sur les sols en 1988, année où il a accepté un poste à l'UdeM.

Autour de lui, dans le laboratoire de géochimie des sols, des milliers d'éprouvettes contenant des échantillons de particules de sols et de tissus de plantes dissous attendent d'être analysées. Deux associés de recherche, Marie-Claude Turmel et Benoit Cloutier-Hurteau, supervisent les travaux. Depuis trois ans, ils documentent l'action des racines sur la biodisponibilité et l'absorption des métaux-traces (arsenic, cadmium, plomb, zinc, etc.) dans la rhizosphère.

Des racines-usines

Les plantes, on le sait, puisent sous terre une quantité de nutriments essentiels à leur croissance. Si l'on observait le sol de son jardin avec un puissant microscope, on apercevrait beaucoup de vide autour des racines. Présent dans ce vide, le liquide qui percole solubilise les éléments chimiques du sol. Les racines s'y abreuvent ensuite comme on boit avec une paille. Une image prise par un microscope à balayage électronique montre d'ailleurs des radicelles qui, tels des cheveux, se hérissent vers la source nutritive.

« Les plantes font cela pour s'approvisionner en éléments nutritifs. Mais certaines essences ont aussi la capacité d'emmagasiner dans leurs tissus des quantités variables de contaminants qui sont potentiellement toxiques. Elles les pompent littéralement du sol, atome par atome, pour les stocker dans leurs racines, leurs tiges et leurs feuilles. C'est ce phénomène de phytoextraction qui nous intéresse. En documentant chaque étape de ce mécanisme, nous pourrons désigner les espèces les plus performantes dans un contexte de décontamination. »

Actuellement, le saule part avec une longueur d'avance sur plusieurs autres essences en vertu de sa croissance rapide, de sa capacité d'accumulation des contaminants et de sa résistance aux conditions adverses. Mais ce n'est pas pour autant un organisme miraculeux qui convient à tous les types de contamination. « On sait que le saule est efficace pour extraire le zinc et le cadmium, mais il l'est moins pour le plomb », résume-t-il.

Au cours des trois dernières saisons végétatives, l'équipe de Genorem s'est activée à deux endroits contaminés du Québec méridional (un dans la plaine du Saint-Laurent, l'autre sur le Bouclier canadien) pour caractériser l'effet des saules sur la décontamination des sols à diverses échelles. Chaque parcelle a été divisée en huit sections, où l'équipe s'est rendue régulièrement pour prélever des échantillons. Lorsque les recherches seront terminées, on obtiendra un tableau précis de la vitesse d'action des végétaux depuis le jour un et après trois années de croissance.

Comme il s'agit de lieux auparavant occupés par des industries, la contamination varie géographiquement. « Sur des sols agricoles, le labour annuel homogénéise la distribution spatiale des éléments. Au contraire, sur un site contaminé, on peut avoir une très forte concentration de zinc à un endroit et presque rien 10 mètres plus loin, inversement avec le plomb ou l'arsenic », illustre l'universitaire en montrant un plan du site.

Certaines plantes ont une telle capacité d'absorption de contaminants qu'elles sont des spécialistes de certains types de sols à forte concentration en métaux. Les géologues l'ont compris depuis longtemps et se sont servis d'observations faites sur la végétation pour orienter les cibles de prospection.

Livrer des solutions

François Courchesne affiche un optimisme mesuré quand il parle du potentiel de la phytorémédiation. « Nous ne sommes pas encore à l'heure de la divulgation des résultats finaux, car il nous reste une année d'expérimentation, mais je crois que nous allons proposer des solutions très intéressantes qui mettront à profit les interactions entre les microorganismes, les racines et le sol », promet-il.

Son laboratoire a montré, par exemple, que des métaux comme le cadmium s'accumulaient majoritairement dans les feuilles, faisant de celles-ci de véritables produits contaminés. L'accumulation des contaminants dans la partie aérienne des plantes est une information pertinente, car on peut récupérer les métaux indésirables sans avoir à arracher les racines, à condition, bien sûr, de recueillir les feuilles avant leur chute. Dans d'autres cas, ce sont la tige et les branches principales qui absorbent l'essentiel des métaux; il faut alors couper la plante pour s'en débarrasser. Un arbuste comme le saule peut relancer sa croissance et reprendre son travail de phytoextraction après avoir été tranché à la tige. Enfin, quand les racines font le gros du travail, comme avec le plomb, il faut déraciner la plante pour obtenir l'effet souhaité.

Dans tous les cas, la décontamination par les plantes prend du temps. « Si vous êtes pressé, la technique la plus utilisée consiste encore à prendre une pelle hydraulique et à envoyer la terre contaminée dans un site d'enfouissement », lance le chercheur en riant.

Pour les autres, il y a les racines-usines de la rhizosphère.

Mathieu-Robert Sauvé

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