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Une biologiste à la rescousse des tourbières

Julie L. Munger étudie les espèces floristiques indicatrices d'échanges d'eau entre tourbière et aquifère

« Il faut trouver des kalmias », lance une spécialiste de la faune du Québec de l'Institut de recherche en biologie végétale à Julie L. Munger. L'étudiante du Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal fait une maîtrise sur les espèces végétales indicatrices des échanges d'eau entre tourbière et aquifère (que le Petit Robert définit comme un « terrain perméable [...] permettant l'écoulement d'une nappe souterraine et le captage de l'eau»).

Il est sept heures du matin. La jeune chercheuse de 33 ans a les deux pieds dans la vase et marche depuis plusieurs kilomètres. Elle scrute le sol recouvert de sphaignes, ces mousses qui forment le moelleux tapis des tourbières. « La première fois que je suis allée dans ce type d'écosystème, j'ai eu le coup de foudre, raconte-t-elle. Les verts transformés en bleu-gris par la luminosité tranchaient avec le rose des plantes comme celui des kalmias. Les arbres étaient rabougris. On se serait cru dans un film de Tim Burton. Tout me semblait surréel! »

Sous des dehors boueux et inhospitaliers, les tourbières sont des milieux humides qui jouent un rôle essentiel dans la biodiversité, le climat et le contrôle des débits des rivières. Or, la surface occupée par les zones humides a diminué globalement dans le monde et est en recul constant au Québec. « Il y a de moins en moins de tourbières naturelles non perturbées. Cette problématique est majeure dans le sud de la province où, à certains endroits, plus de 60 % des tourbières sont touchées par l'activité humaine », signale Mme Munger. Production agricole et étalement urbain sont autant de causes à cette régression.

Plus surprenant, les liens hydrologiques entre les tourbières et les aquifères sont peu connus. « Cela rend très difficiles les interventions concernant leur conservation ou leur gestion », indique la jeune femme qui a fait de cette problématique l'objet de recherche de son mémoire.

Avec l'aide d'hydrogéologues et de géomorphologues, elle a entrepris de déterminer s'il y avait des espèces végétales indicatrices d'échanges d'eau entre les tourbières et les zones aquifères, ce qui n'avait jamais été fait en utilisant des variables hydrogéologiques.

Espèces indicatrices

Pour y arriver, Julie L. Munger a d'abord procédé au cours de l'été 2011 à l'inventaire de la végétation de neuf tourbières situées dans les bassins versants des rivières Bécancour du Centre-du-Québec et Harricana en Abitibi-Témiscamingue. Puis, à l'aide de piézomètres – dispositifs permettant de mesurer la pression de l'eau à un endroit donné –, la lauréate de la bourse Pehr-Kalm des Amis du Jardin botanique de Montréal a évalué sur une période de sept mois les gradients de charges hydrauliques afin d'établir le sens de l'écoulement. Pour confirmer la présence ou non d'échanges d'eau entre la tourbeière et l'aquifère, des analyses de la chimie de l'eau ont également été effectuées.

L'étudiante vient de publier les principaux résultats de son étude dirigée par la professeure Stéphanie Pellerin dans la revue Le Naturaliste canadien.

Plus de 90 végétaux ont été recensés dans les diverses parcelles d'inventaire des tourbières. Les analyses ont permis de repérer quelques espèces dont la présence est le gage d'une circulation de l'eau de l'aquifère vers la tourbière. Ainsi, Andromeda polifolia var. latifolia, Carex limosa, Viburnum nudum var. cassinoïdes et Sphagnum russowii sont reconnues comme étant des indicateurs de conditions minérotrophiques. « À l'inverse, la plupart des espèces désignées comme indicatrices d'une absence de circulation d'eau, telles que Vaccinium oxycoccos, Sphagnum rubellum et Eriophorum vaginatum subsp. spissum, sont des espèces typiquement ombrotrophes qui se trouvent dans des habitats pauvres en éléments dissous», explique Mme Munger.

Des fleurs pour les gestionnaires

Ces résultats concordent avec d'autres dans la littérature et montrent que les tourbières sont rattachées aux aquifères malgré la faible conductivité hydraulique de la tourbe. Les espèces répertoriées sont toutefois relativement constantes dans les lieux d'observation, ce qui indique que le sens des flux d'eau associés à l'aquifère est peu important pour la flore. Les données recueillies entre mai et novembre 2011 sont cependant encore insuffisantes pour tirer des conclusions à ce sujet.

« En raison des fluctuations annuelles des écoulements, il faut un nombre de sites plus grand et un suivi sur plus d'une année pour mieux comprendre la dynamique hydrique de ces milieux humides », souligne l'étudiante. Signe encourageant tout de même, les espèces indicatrices pourraient devenir un outil utile aux gestionnaires du territoire. « Nos travaux démontrent la présence d'espèces indicatrices de flux hydrauliques entre une tourbière et un aquifère. Ces espèces pourraient donner une indication de l'importance du site dans l'hydrologie régionale et améliorer l'analyse des impacts environnementaux. »

Dominique Nancy

Bas de vignette

La présence de certains végétaux est un indicateur d'échanges d'eau entre les tourbières et les aquifères.

 

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