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Le professeur Bernard Angers aide les élèves du secondaire à analyser l’ADN des poissons

Quand on doit distinguer deux espèces de cyprinidés comme le méné paille (en haut) et le méné pâle (en bas), l’observation des traits distinctifs ne suffit pas. Il faut recourir à la signature génétique de l’espèce.

Extraction d'ADN, digestion enzymatique, réaction en chaîne par polymérase. Voilà des termes familiers pour des techniciens de laboratoires universitaires. Dans une école, c'est plus rare. Pourtant, une vingtaine de jeunes de l'école secondaire Jean-Raimbault, à Drummondville, procèdent quotidiennement à ces manipulations délicates et ils ont fait une démonstration de leur savoir-faire le 14 janvier dernier dans une conférence de presse à laquelle assistaient une vingtaine de personnes, dont le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, Laurent Lessard.

La question à résoudre à l'occasion de leur exposé : comment identifier l'espèce de poisson dont on a recueilli un morceau de nageoire durant une sortie sur le terrain? Ici, on hésitait entre le méné paille(Notropis stramineus) et le méné pâle (Notropis volucellus), deux espèces de cyprinidés qu'on trouve dans les ruisseaux de la forêt méridionale québécoise. «L'empreinte génétique de l'espèce est celle du méné pâle», a expliqué une élève en montrant la projection des gels d'électrophorèse sur un tableau.

«Ces jeunes font un travail précieux en identifiant des espèces peu connues de nos cours d'eau. Et leurs résultats sont aussi fiables que ceux d'un laboratoire professionnel», soutient Bernard Angers, professeur au Département de sciences biologiques de l'Université de Montréal, qui, avec l'aide de son étudiante au doctorat Christelle Leung, a conseillé Pablo Desfossés dans la mise en place du protocole de recherche. M. Desfossés est chargé du cours de science à l'école Jean-Raimbault depuis 15 ans.

«Chaque année, nos élèves vont dans la forêt prélever des échantillons d'animaux et de plantes dans le but de mieux connaître la biodiversité. Au début, l'identification des espèces ne posait pas de problème, puisque la plupart étaient faciles à nommer à l'aide des chartes existantes. Mais, en 2012, nous nous sommes heurtés à un obstacle majeur : 19 espèces de cyprinidés se ressemblaient tellement qu'il était presque impossible de les distinguer sans des moyens spécialisés», relate le biochimiste de formation.

Un coup de fil au Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie et en environnement aquatique a mis M. Desfossés sur la piste de Bernard Angers. Celui-ci, un spécialiste de l'identification des espèces, a recommandé à l'enseignant de recourir à l'extraction de l'ADN par la réaction en chaîne par polymérase et à une banque de données d'espèces nommée «Bar-coding génétique». À la manière du code-barres des produits de consommation, les biologistes peuvent identifier une espèce à partir d'un minuscule fragment de tissu qu'ils entrent dans un répertoire comptant environ 500 000 espèces. «L'empreinte écologique est nulle, car l'animal n'est pas sacrifié. On le remet à l'eau après avoir recueilli un morceau de nageoire», précise M. Angers.

Des partenariats gagnants

Avant d'implanter un tel protocole, il a fallu équiper des locaux de l'école d'un matériel de pointe. Pablo Desfossés a multiplié les demandes de subvention et obtenu près de 100 000 $ du ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations, de la société Canimex et de la Caisse Desjardins de Drummondville. «C'est cet appareil qui coûte cher», a indiqué l'enseignant en s'approchant du thermocycleur, un instrument électronique de la grosseur d'une imprimante qui permet d'obtenir des milliards de copies d'une séquence de nucléotides en moins d'une heure. Micropipettes, centrifugeuses, microtubes et autres outils essentiels aux manipulations étaient sur la liste des achats. Il faut aussi ajouter le coût des enzymes de restriction capables de découper les séquences de l'ADN enfermé dans les mitochondries de la cellule. Le laboratoire de l'école a effectué ses premières analyses moléculaires en octobre 2015.

Vêtus de leur blouse de laboratoire et portant des lunettes de protection, les élèves semblent n'avoir aucun mal à franchir les étapes de ce travail spécialisé. «J'aime beaucoup ce qu'on apprend dans ce cours, dit Lucas Munger, un élève de quatrième secondaire qui souhaite devenir chercheur en biochimie. On est passé de la capture des poissons dans la nature à l'analyse de laboratoire. Toutes les étapes m'ont intéressé.»

Un partenariat avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs permet de transférer les données dans un répertoire national des espèces. Une vingtaine de sites de prélèvement ont été attribués aux élèves. «Cela peut paraître surprenant, mais on connaît mal les espèces vivant dans nos eaux, si l'on fait exception des poissons les plus courants, reprend Pablo Desfossés. Nos découvertes pourraient avoir des répercussions importantes, puisque nous avons identifié une espèce menacée.»

M. Desfossés refuse actuellement de rendre publics les détails de cette découverte, car des mesures de protection pourraient s'appliquer si un poisson figurant sur la Liste des espèces désignées menacées ou vulnérables au Québec était officiellement reconnu. «Si le terrain parle, il faut l'écouter», s'est limité à dire le ministre en marge de la conférence de presse, soulignant que la législation sur la protection des espèces menacées relève du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Pour l'heure, M. Lessard était surtout impressionné de voir des élèves du secondaire observer un protocole spécialisé qu'on associe plus généralement aux laboratoires biomédicaux.

«Sans Bernard Angers et Christelle Leung, rien de tout cela n'aurait été possible», a mentionné Pablo Desfossés, qui s'est montré enchanté de la collaboration de l'Université de Montréal. Une reconnaissance que le biologiste de l'UdeM reçoit avec humilité. «Je leur ai donné des conseils et ils les ont suivis avec sérieux. C'est un bel exemple de transfert de connaissances», déclare-t-il.

Initiateur d'un programme scolaire appelé Groupe d'aide pour la recherche et l'aménagement de la faune, implanté en 2015 à l'école Jean-Raimbault, Pablo Desfossés a vu son expérience pédagogique être adoptée par d'autres écoles de la Commission scolaire de Sainte-Hyacinthe. Une de ces écoles a d'ailleurs entrepris des analyses génétiques avec de jeunes passionnés de science au point où elle compte acheter un thermocycleur à son tour.

Mathieu-Robert Sauvé

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