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Le trafic d'armes est une affaire d'initiés

«Si je cherche un Smith and Wesson, je ne serai pas satisfait par une quelconque marque bâtarde», dit en prison un habitué du trafic d'armes au criminologue Carlo Morselli, qui cherche à faire la lumière sur la façon dont le milieu criminel s'approprie des fusils et révolvers prohibés.

Ce témoignage est tiré d'une des 220 entrevues que M. Morselli et son équipe de l'Université de Montréal ont menées entre 2010 et 2012 dans les pénitenciers fédéraux auprès de prisonniers condamnés pour des crimes graves. Le tiers des répondants (78) ont rapporté au moins une transaction illégale dans le but d'obtenir une arme à feu. Au total, 606 armes ont été échangées au cours de 477 transactions. «Est-il vrai que le trafic d'armes passe par les communautés autochtones ou par le crime organisé? Sinon, comment s'organise-t-il? Voilà des questions que nous voulions explorer à partir de la première clientèle intéressée», commente le directeur adjoint du Centre international de criminologie comparée, qui rendait publique une partie de sa recherche, le 3 décembre dernier, à l'École de criminologie de l'UdeM.

Ceux qui pensent que les armes se négocient par l'entremise de réseaux organisés, un peu à la manière de la drogue, seront surpris d'apprendre que ce n'est pas la procédure la plus courante, indique le spécialiste. «Le trafic d'armes est le plus souvent une affaire de réseau personnel informel», résume-t-il.

Vouloir acquérir une arme reste une transaction laborieuse, même quand on veut y mettre le prix. Un répondant confie que la démarche, dans son cas, a duré deux ans. «Vous ne pouvez pas simplement interpeler quelqu'un et lui demander “Hé! Peux-tu me vendre une arme?” Il faut que vous vous adressiez à des gens que vous connaissez depuis longtemps, et même eux peuvent avoir des soupçons. Ils peuvent se fâcher si vous leur demandez de vous vendre une arme», explique-t-il.

En d'autres termes, la meilleure façon de se procurer une arme, c'est de connaitre quelqu'un qui connait quelqu'un. Les criminels ont donc intérêt à faire appel à un vieil ami qui a commis des vols à main armée plutôt que de frapper à la porte d'un caïd associé au crime organisé. Ce dernier pourrait devenir de mauvaise humeur en entendant la demande.

Cela dit, la transaction peut aller vite si vous connaissez les bonnes personnes. Ainsi, un criminel dont les affaires marchaient rondement sentait le besoin d'avoir une arme de poing, question de se protéger. «Mon cousin est allé voir un de ses amis motards et il est revenu avec une arme pour moi environ une semaine plus tard.»

Il semble que ce ne soit pas d'abord une question d'argent. D'ailleurs, le paiement lui-même se fait encore souvent sous forme de troc. Mais le choix des armes est, lui, sans limites. «On trouve de tout dans le marché illicite, de la mitraillette au pistolet Beretta en passant par le fusil d'assaut russe AK-47», précise M. Morselli.

Les réseaux fermés limitent la propagation

Carlo Morselli n'a pas cherché à savoir, au cours des entretiens, si les armes avaient été utilisées et à quelles fins. L'enquête n'avait pas pour but de connaitre l'utilisation des armes, même si la recherche a permis d'en apprendre un peu plus sur cette question. Mais des études antérieures ont établi que les possesseurs d'armes correspondent à un type particulier. «Le criminel armé est entouré de personnes armées. C'est dans la culture du groupe. Le plus souvent toutefois, l'arme est instrumentale. Elle sert à intimider l'entourage et à contrôler ses membres sans même qu'un coup de feu soit tiré. Dans de nombreux cas, on dit vouloir une arme afin de se protéger. On en veut une, même si l'on n'a pas l'intention de l'utiliser.»

M. Morselli, qui a remporté en 2011 un prix de l'International Association for the Study of Organized Crime pour son livre intitulé Inside Criminal Networks (Springer), approche le monde criminel de façon originale, soit jusque dans les prisons. Comment amène-t-on des détenus à se confier sur un sujet si délicat? «Nous essayons d'établir un climat de confiance mutuelle», répond le criminologue. Les entrevues ne sont pas enregistrées et les sujets acceptent librement d'y participer. L'intervieweur n'est pas là pour approuver ou désapprouver le phénomène, mais pour écouter les gens. Certaines entrevues se sont étirées sur deux heures.

L'enquête sur le trafic d'armes se poursuit auprès d'autres criminels armés, non emprisonnés. Ce n'est pas d'hier que le professeur Morselli s'intéresse à cette question. Le contrôle des armes à feu était le sujet de son mémoire de maitrise, déposé en 1996.

Des lois qui conviennent

La collecte d'informations aura permis de mettre au jour cette composante du trafic d'armes s'appuyant sur un réseau d'initiés. «C'est probablement la plus grande surprise de mon investigation», déclare le chercheur.

Cette caractéristique du trafic (l'existence d'un réseau fermé et non ouvert) limite certainement le nombre d'incidents liés aux armes. La littérature scientifique mentionne en effet que les réseaux ouverts conduisent à des gains plus élevés, mais aussi à un plus grand nombre d'armes en circulation. S'il est plus difficile d'obtenir une arme et que la confiance entre les personnes prime sur l'occasion d'affaires, le nombre d'armes demeure faible.

La bonne nouvelle, c'est que la législation ne semble pas inadéquate à la lumière des renseignements recueillis par les criminologues. «Les lois semblent plutôt efficaces à mes yeux. Le système n'est pas exempt d'armes prohibées, mais, comme celles-ci ne quittent pas le réseau, une certaine autorégulation s'impose dans le milieu.»

Mathieu-Robert Sauvé

 

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