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Doctorats Honoris Causa 2008

Discours de réception de Paul Claval

Monsieur le Recteur, Monsieur le Doyen, mes chers collègues, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, 

Le plaisir que me procure le doctorat honoris causa que l’Université de Montréal me décerne aujourd’hui est immense. Je voudrais d’abord remercier le Professeur Manzagol, hélas disparu, et le Professeur Marois, qui ont présenté mon nom, et le Conseil de l’Université qui l’a retenu.

Je fréquente le Canada — et plus spécialement le Québec — depuis 1969. J’y ai été quatre fois professeur invité, dont une fois ici même, il y a trente ans. C’est à travers le  Québec que j’ai découvert le Nouveau Monde, sur lequel j’avais beaucoup lu, mais que je n’avais pas encore eu l’occasion de visiter. Ici ce sont les traits que Montréal partage avec les grandes villes des Etats-Unis, et qui m’étaient familiers grâce aux photos et aux ouvrages que j’avais lus, me frappèrent d’abord — mais je ne tardai pas à découvrir la singularité de cette ville à cheval sur les langues, et qui était tout autant impériale que canadienne. Les paysages admirablement ordonnés des rangs de la plaine laurentienne m’enchantèrent, comme les érables en feu des Cantons de l’Est à la fin de septembre et l’or des bouleaux des Laurentides à la même saison. Je circulai beaucoup dans la Belle Province. J’y nouai de solides amitiés. Je sais gré à tous ceux qui m’ont reçu et m’ont aidé à aimer et à comprendre leur pays : Jules Roy et Roman Paquette à Sherbrooke, Louis-Edmond Hamelin, Louis Trotier, Pierre Denis, Marcel Bélanger, Luc Bureau, Guy Mercier à Laval, Ludger Beauregard, Claude Manzagol et Claude Marois à l’Université de Montréal — et beaucoup d’autres, qu’il serait trop long d’énumérer ici.

J’ai découvert des étudiants qui parlaient français, mais qui différaient beaucoup de ceux que j’avais eus jusqu’alors. J’appris à mesurer combien la proximité linguistique comptait, mais combien les réflexes, les attitudes, les conceptions de la vie divergeaient aussi : la société canadienne est une société du Nouveau Monde. J’avais toujours eu de la curiosité pour les faits de culture. Enseignant près de la frontière suisse, j’avais senti combien les Suisses romands se distinguaient des Français. Le Québec m’apprit à systématiser mes réflexions en ce domaine. C’est à la suite des séjours que je fis au Canada dans le courant des années 1970 que l’approche culturelle en géographie devint le thème majeur de mes recherches. Mon expérience personnelle rejoignait ainsi une des tendances majeures que la discipline traversait alors, et qui la conduisait à renoncer au parti pris positiviste qu’elle avait jusqu’alors privilégié.

Je découvris, grâce à Camille Laverdière, que l’on pouvait être à la fois géomorphologue et poète. Christian Morissonneau me révéla combien la géographie, celle d’Onésime Reclus par exemple, avait influé sur la colonisation du Nord à partir des années 1870. Louis-Edmond Hamelin — et Gilles Vigneau, je dois le dire aussi — me firent sentir l’étrangeté du Nord et de l’hiver, et combien ils avaient modelé les façons de vivre au Québec et dans tout le Canada. Beaucoup voyaient encore la culture comme un héritage. Mon ami Marcel Bélanger me montra qu’elle était plus encore un outil face aux exigences du présent et un instrument pour se projeter dans le futur. Luc Bureau me fit apprécier le rôle de l’imagination géographique, qu’il sait manier avec beaucoup d’humour et dans une veine profondément littéraire. C’est à Jean Morrissette que je dois l’idée que la culture québécoise ne s’éclaire que si on la comprend comme métisse.

Au-delà de la beauté des paysages, de l’originalité et de la complexité d’une société à la fois proche et différente de celle de France, j’ai appris à apprécier des collègues curieux, ouverts, indifférents aux frontières académiques et toujours inventifs. Le doctorat honoris causa qui m’est conféré aujourd’hui me fait d’autant plus plaisir qu’il rappelle tout ce que je dois au Québec, à mes amis québécois et à la géographie québécoise.  

Paul Claval

Discours rendu lors de la Collation des grades de premier et deuxième cycles de la Faculté des arts et des sciences

Le mardi 17 juin 2008