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Doctorats honoris causa 2015

Philippe Descola, Ph. D.

Philippe Descola


Texte hommage prononcé par Francis Gingras, secrétaire de la Faculté des arts et des sciences, lors de la cérémonie du 29 octobre 2015.

Philippe Descola incarne à bien des égards le renouveau de la pensée anthropologique et de la théorie sociologique contemporaines. Professeur au Collège de France et titulaire de la Chaire d’anthropologie de la nature, il élabore depuis plusieurs années une théorie générale où le social se pense non plus à partir d’une société composée exclusivement d’humains, mais repose sur l’idée d’un collectif rassemblant humains et non-humains. Élève de Maurice Godelier à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, influencé par l’œuvre du sociologue Bruno Latour, monsieur Descola a soutenu une thèse de doctorat en anthropologie sociale sous la direction Claude Lévi-Strauss. Au cours de sa formation, il mène une enquête de terrain chez les Jivaros Achuar vivant dans le haut bassin équatorien du Rio Pastaza. Il découvre que ceux-ci attribuent des qualités humaines à des entités, animaux ou plantes qui, dans la pensée occidentale, en sont dépourvus en raison de l’opposition traditionnelle entre nature et culture. Ce constat l’amène à reconsidérer et à critiquer le dualisme nature/culture qui, de longue date, a dominé le champ des sciences sociales. L’ouvrage né de cette réflexion, Par-delà nature et culture, lui vaut une renommée internationale et le consacre chef de file d’un courant théorique qu’il a largement contribué à créer : l’anthropologie de la nature.

Anthropologue œuvrant au croisement de la sociologie, monsieur Descola propose une approche théorique singulière visant à dépasser le modèle conceptuel clivant par lequel la culture est généralement opposée à la nature, dans l’intention de rendre compte de la condition humaine. En préférant la notion de « collectif » à celle de « société », il propose une nouvelle manière de réunir les individus humains et non-humains dans un réseau de relations spécifiques. Fidèle à l’analyse structurale héritée de Claude Lévi-Strauss, monsieur Descola a isolé plusieurs modes d’identification et de relation entre humains et non-humains susceptibles de constituer ce qu’il nomme une « écologie des relations ».

Ces différents modes de relation, il les voit à l’œuvre dans la « fabrique des images » en vertu de laquelle les individus et les sociétés se représentent sous différentes formes mythiques, artistiques ou philosophiques par exemple, les liens qu’ils tissent avec d’autres entités. Pour illustrer cette conception, il organise en 2010 une exposition de première importance au Musée du Quai Branly à Paris dédiée à la figuration et aux manières qu’ont les cultures de représenter les ressemblances et les différences qu’elles perçoivent de l’Autre. En parallèle de son œuvre scientifique de premier plan, Philippe Descola dirige, à la suite de Claude Lévi-Strauss et de Françoise Héritier, le très réputé Laboratoire d’anthropologie sociale à l’École des hautes études en sciences sociales.

Les travaux de monsieur Descola lui ont valu une multitude de distinctions, dont, en 1996, la médaille d’argent du CNRS venue souligner l’importance de ses recherches sur les usages et les connaissances de la nature dans les sociétés tribales. En 2000, il est fait chevalier dans l’Ordre de la légion d’honneur française avant d’être élevé au rang d’Officier en 2009. L’Académie des sciences morales et politiques lui remet en 2012 le Prix de sociologie de la Fondation Édouard Bonnefous. La même année, il se voit distingué par la médaille d’or du CNRS, la plus prestigieuse récompense scientifique française. Il a été élu Honorary fellow du Royal Anthropological Institute de Londres et de l’European Association of Sociology Anthropology. Sa réputation tant à titre de chercheur que d’enseignant lui a ouvert les portes des plus prestigieuses universités, dont celles de Rio de Janeiro, Chicago, Munich, New York, Buenos Aires, Londres ou encore Vienne.

Monsieur Descola est bien connu des étudiants des Départements d’anthropologie et de sociologie de l’Université de Montréal puisque ses livres sont au programme de plusieurs cours de premier cycle consacrés au thème « culture et société ». En 2006, sur invitation de messieurs les professeurs Jacques Hamel et Robert Crépeau, monsieur Descola est venu donner deux de ses leçons du Collège de France dans l’enceinte de l’Université de Montréal. Ce faisant, notre institution a pu saluer le caractère interdisciplinaire et original de ses recherches en sciences sociales qui touchent un grand nombre des domaines du savoir. L’œuvre de monsieur Descola est une source d’inspiration pour penser les nouvelles formes de relation dans le monde afin de dépasser les clivages et les aliénations du temps présent. Soucieux de rejoindre un large public, monsieur Descola s’est exprimé à de très nombreuses occasions dans les colonnes de grands journaux, sur les ondes ou à la télévision.

Aujourd’hui, les Départements d’anthropologie et de sociologie et la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal se réjouissent de rendre hommage aux travaux de monsieur Descola qui sont une référence tant pour nos professeurs que pour nos étudiants. En lui conférant un doctorat honoris causa, l’Université de Montréal tient à souligner l’envergure de la carrière de monsieur Descola, sa contribution au domaine des sciences sociales et son approche interdisciplinaire novatrice et unanimement saluée tant par la communauté scientifique que par les médias. Les Départements d’anthropologie et de sociologie et la Faculté des arts et des sciences sont fiers de s’associer à la remise de la plus haute distinction de notre université à monsieur Philippe Descola, un modèle pour nous et pour nos nouveaux diplômés de ce que peut représenter un chercheur audacieux, tenace et résolument impliqué dans la résolution des grands défis sociaux que pose notre temps.